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Mais à quoi joue la Turquie ?

Moyen-Orient. “Musulman-démocrate”, le président Erdogan cultive l’ambiguïté avec les islamistes et l’Occident. Son pays est en première ligne dans les crises actuelles. Mais dans quel camp? Portrait d’un maître du louvoiement.

Recep Tayyip Erdogan et son épouse. Onze ans d'islamisation du pays. Photo © AFP
Recep Tayyip Erdogan et son épouse. Onze ans d'islamisation du pays. Photo © AFP

Largement élu dès le premier tour à la présidentielle du 10 août (près de 52 % des voix), Recep Tayyip Erdogan gouverne la Turquie depuis onze ans. Premier ministre depuis 2003, aujourd’hui président, il a fait de son pays un pivot géopolitique entre l’Europe et le Moyen-Orient. Un pied dans l’Otan, un pied dans le monde islamique sunnite, il n’a jamais cessé de jouer un jeu ambigu au coeur des crises syrienne et irakienne.

Parrains de la rébellion islamiste contre le régime syrien, Erdogan et les services secrets turcs ont contribué à enfanter ce monstre barbare qu’est l’État islamique (EI). Cela explique l’hésitation de la Turquie à rejoindre la coalition internationale qui combat l’EI (lire notre encadré, page 41). Hostile par principe aux Kurdes, Erdogan aide ceux d’Irak, dont le territoire autonome est devenu un débouché majeur pour les entreprises turques, et combat ceux de Syrie et de Turquie, malgré quelques gestes (reconnaissance de leur identité, autorisation d’enseignement de leur langue) : votée en juillet, une loi vise à raviver le processus de paix avec les séparatistes kurdes.

Maître en manipulations idéologiques et en débordements calculés, Erdogan est un champion de la rhétorique. Longtemps, ce “musulman-démocrate” a évité toute allusion à Dieu dans ses discours. Le 1er juillet, pourtant, il annonçait ainsi son succès présidentiel : « Allah est le seul et unique détenteur de cette victoire. » Pour Samim Akgönül, enseignant à l’université de Strasbourg et chercheur au CNRS, « Erdogan est une bête politique extraordinaire. Ses stratégies de communication sont très proches de celles d’un Sarkozy ou d’un Poutine ».

Revendiquant son ancrage populaire, Erdogan se définit comme un “Turc noir”, par opposition aux “Turcs blancs”, les élites kémalistes éduquées et aisées. Né en 1954 dans un quartier défavorisé d’Istanbul, il vient du peuple. Vendeur de snacks dans la rue, il fréquente un imam hatip, une école religieuse traditionaliste. « Je dois tout à cette école, racontait-il en 2003. J’y ai appris le patriotisme, l’amour de mon prochain, l’adoration de Dieu. »

Le futur président y apprend également le poids du verbe. Surnommé le “Rossignol du Coran”, il se distingue vite par ses talents d’orateur. Il a aussi la passion du football. En 1976, il est sur le point de passer professionnel, mais son père s’y oppose. Sommé de choisir entre la religion et les crampons, il opte pour l’islamisme militant. Il gardera du football le sens de l’attaque.

Erdogan doit son ascension politique à sa rencontre avec le futur premier ministre islamiste Necmettin Erbakan, séduit par la foi et le talent oratoire de ce jeune cadre qui grimpe dans la hiérarchie du Parti du salut national, antilaïc, antioccidental, antilibéral. Porté par la grande vague “verte” de 1994, Erdogan décroche la mairie d’Istanbul. Les milieux laïcs le soupçonnent de vouloir fermer les bars et les maisons closes. Pragmatique, il s’impose d’abord par son efficacité : il améliore les infrastructures d’eau et d’électricité, réhabilite les quartiers populaires et lance la construction du métro…Lire la suite…

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