Al-Quaïda recrute à Toulouse

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    Al-Quaïda recrute à Toulouse DDM
Publié le
Frédéric Abéla

La «filière toulousaine» démantelée... Hier, à 6 heures du matin, dans une barre du quartier toulousain de Reynerie, à Papus et aux Izards, mais aussi dans un village de l'Ariège, et dans la banlieue parisienne, les services antiterroristes ont frappé fort. Après l'arrestation mardi, à 11 heures, à l'aéroport d'Orly, d'un Toulousain et d'un Albigeois, expulsés de Syrie alors qu'ils allaient combattre en Irak, une vaste opération a été déclenchée hier simultanément dans ces différents sites. Au total, onze personnes, soupçonnées d'entretenir des liens avec Al Qaïda, ont été interpellées : les deux jeunes hommes expulsés de Syrie, âgés de 23 et 27 ans ; trois couples dans la Ville rose ; un couple franco syrien d'une soixantaine d'années à Artigat, en Ariège ; et un homme à Torcy, en Seine-et-Marne, en banlieue parisienne. Tous sont de nationalité française et plusieurs sont de récents convertis à l'Islam.

L'opération a été menée par les hommes de la sous-direction antiterroriste (SDAT), de la Police judiciaire et des Renseignements généraux. Ces spécialistes enquêtent depuis plusieurs mois sur ce groupe qui est soupçonné de recruter et d'acheminer, depuis Toulouse, des volontaires pour combattre en Irak.

Hier matin, Nicolas Sarkozy, qui a dévoilé l'opération, s'est aussitôt félicité de ce coup de filet. Les liens avec Al Qaïda porteraient sur des contacts syriens aptes à conduire les volontaires en Irak et à les mettre en rapport avec la nébuleuse terroriste. Selon nos informations, les deux Français, qui ont été interpellés en décembre en Syrie, détenaient des armes ainsi que des documents d'Al Qaïda. « On a su en décembre qu'ils avaient été interpellés en Syrie, nous avons attendu leur retour. On était dans les starting-blocks », observe un enquêteur qui décrit en quelques mots le profil de ces deux garçons : « Des frappés qui étaient prêts à se faire sauter ».

Cette filière a-t-elle permis d'acheminer d'autres volontaires vers l'Irak ? Selon une source proche de l'enquête, des voyages auraient déjà été observés jusqu'en Syrie. Des personnes seraient allées suivre des cours ou se seraient même établies là-bas. Rien ne laisse penser en revanche, en l'état actuel de l'enquête, que ce réseau préparait des attentats en France. Aucune arme n'a été découverte hier lors des perquisitions.

Le parquet antiterroriste de Paris avait ouvert une enquête préliminaire en 2005 à la suite de lettres anonymes dénonçant des projets d'attentats dans des supermarchés de la région toulousaines. Deux Toulousains, un père et son fils, avaient alors été interpellés puis relâchés faute d'éléments.


Les filières recrutent partout en France

Ce n'est pas la première fois que les policiers de la DNAT procèdent à des arrestations à Toulouse. En avril 2005, six personnes, dont un jeune homme faisant du prosélytisme pour l'Islam sur le marché Saint-Sernin, avaient été interpellées en moins de quinze jours sur dénonciations, mais avaient été relâchées sans charges sérieuses. Rien à voir avec les filières démantelées très régulièrement sur tout le territoire et dans tous les milieux. Comme ce groupe parisien des Buttes-Chaumont, identifié quelques mois plus tôt, qui réunissait des jeunes de 18 à 20 ans, candidats au djihad en Afghanistan, Tchétchénie ou Irak, dont a fait partie Saïd Arif arrêté à Damas en Syrie, en juin 2004 où il organisait l'accueil des convertis. Pendant l'été 2005, c'est à Montpellier qu'une cellule islamiste est mise au jour dans un milieu d'étudiants ingénieurs au-dessus de tout soupçon. Deux suspects seront arrêtés en Algérie, deux autres au Maroc. Un autre membre de la bande sera intercepté à Troyes. Souvent les familles sont surprises par le choix soudain des djihadistes. Ainsi de ces trois étudiants tourangeaux pris en Syrie en décembre 2006. Au même moment huit autres jeunes français sont arrêtés en Égypte. Expulsés, ils ont été remis en liberté, mais trois nouveaux suspects sont toujours au secret au Caire. Dans la région parisienne plusieurs dizaines de jeunes islamistes sont signalés chaque année. « La cause irakienne est mobilisatrice », constate le chercheur Dominique Thomas.


Des islamistes ruraux

Ils étaient les derniers des Mohicans d'une communauté islamiste recluse à Artigat, petite commune ariégeoise près de Pamiers. Au début des années 1990, plusieurs familles ont acheté des terrains au lieu-dit Les Lanes, sur les hauteurs, et ont fait sortir de terre un hameau d'une dizaine d'habitations. Ils ont vécu isolés, en communauté religieuse, pendant des années avant que des dissensions n'éclatent et n'éparpillent le groupe. Il ne restait plus que deux familles musulmanes jusqu'à hier, brouillées depuis un an. Au village, c'est l'étonnement. Dans le hameau, on était déjà un peu plus habitué à la surveillance policière du lieu. Des perquisitions avaient été menées ces dernières années et tout le monde savait que les cibles étaient sur écoutes. Par contre, hier matin, les voisins n'ont presque rien vu, au moment de l'arrestation, vers 6 heures.

Olivier et Nadia Corel, couple sans enfant, âgés de 60 et 55 ans et originaires de Syrie, vivaient d'un peu d'agriculture et de commerce. Selon l'un de leurs voisins, ils allaient à la mosquée à Toulouse et le mari fréquentait la jeunesse musulmane lors de cours d'arabe et de civilisation islamique.

Aux dires des habitants d'Artigat, « ils ne gênaient personne ». Ceux qui ont eu l'occasion de les rencontrer parlent de gens « très corrects ». Un de leurs voisins les dit « très serviables, respectant la religion de chacun ». Leur présence en ces lieux avait quand même fait circuler nombre de rumeurs à leur sujet. Désormais, certains les ont catalogués « chefs de réseau terroriste ».


«Le web, paradis des islamistes»

Directeur de recherche à l'école spéciale militaire de Saint-Cyr, Mathieu Guidère vient de publier en collaboration avec Nicole Morgan « Le manuel de recrutement d'Al- Qaïda » (éd. du Seuil).

Pour recruter, le cyber espace serait devenu le paradis des islamistes…

Oui, car aujourd'hui, il n'y a quasiment plus de recrutement en direct. Trop dangereux. Tout se passe sur internet par le biais de forums de discussion, de sites rattachés à la mouvance islamiste mais aussi de listes de diffusion qui permettent, un peu comme dans les réunions Tupperware, de diffuser largement des messages.

Tout commence pour l'apprenti jihadiste par de la lecture…

La force d'Al-Qaida c'est le pouvoir des mots par opposition à nos cultures occidentales qui privilégient l'image et le sensationnel. Ben Laden a compris que la culture du zapping ne facilite pas le passage du stade de la fascination à la fidélisation de l'action radicale.

Le profil type du jihadiste ?

Il y a trois types de recrues : les « exaltés » qui recherchent l'aventure et se laissent embrigader malgré eux. Les « fugitifs » ensuite qui ont une motivation existentielle et fuient souvent des persécutions dans leurs pays d'origine. Les « transfuges » enfin qui ont expérimenté d'autres modes de contestation et qui se réfugient dans Al-Qaïda avec l'espoir de compenser leur échec. Toutes ces recrues n'ont qu'une idée en tête : « mourir dans le sentier d'Allah » et tuer un maximum d'infidèles sans se poser de questions.


témoignage

Dans un appartement perquisitionné à Toulouse.

«Mon fils est parti étudier en Syrie»

Tôt hier matin, à Reynerie, les policiers ont arrêté un couple et une femme qui vivaient dans un appartement d'un immeuble HLM, rue Auriacombe. « Ils sont arrivés en cassant la porte avant de nous demander de mettre les mains sur la tête. On ne comprend pas ce que l'on nous reproche. On nous parle d'Irak, de terroristes mais nous, on est tous des frères. On s'aide et on ne fait de mal à personne », raconte une jeune femme de 35 ans d'origine française et convertie à l'Islam, présente dans l'appartement lors de l'interpellation. Un appartement dans lequel se trouvait également une mère de famille d'une soixantaine d'années dont l'un des fils avait pris la direction de la Syrie depuis septembre dernier « pour étudier à Damas », selon cette femme musulmane d'origine réunionnaise. « Les policiers ont embarqué ma fille et ma belle fille, dit-elle. Je ne sais pas pourquoi. » À Toulouse, les enquêteurs ont notamment saisi des ordinateurs et de la documentation vidéo comportant des images de combat au Moyen-Orient.

Selon nos informations, les deux individus interpellés mardi matin à l'aéroport d'Orly, dont l'un est Toulousain, auraient des liens de parenté avec les personnes arrêtées hier matin à Reynerie. Deux autres opérations simultanées ont été menées hier matin par les services de l'antiterrorisme dans les quartiers de Papus et des Izards. Au total, ce sont six personnes âgées entre 25 et 30 ans, dont trois femmes, qui ont été interpellées dans ces cités.

Finalement cinq de ces personnes soupçonnées « de liens avec les réseaux terroristes Al-Qaïda », des Français et Françaises convertis à l'Islam, ont été placées en garde à vue dans les locaux de la police judiciaire à Toulouse.


Madrid : le procès aujourd'hui

Le procès des 29 accusés des attentats terroristes du 11 mars 2004 à Madrid (191 morts et 1 824 blessés), revendiqués par Al-Qaïda, s'ouvre aujourd'hui pour près de six mois dans la capitale espagnole. Il s'agit du pire attentat commis en Europe depuis celui de Lockerbie en Écosse en 1988 (270 morts dans l'explosion d'un avion) et du plus meurtrier revendiqué au nom d'Al-Qaïda en Occident après ceux du 11- Septembre 2001 aux États-Unis.

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Les commentaires (2)
kikiman Il y a 12 années Le 23/03/2012 à 14:33

bah ouais.
La prochaine fois les dirigeants français réfléchirons à 2 fois avant d'envahir des pays du Tiers Monde et du Moyen Orient pour leur piquer leur pétrole et aux ressources en massacrant leur population et en les endettant... Le pays aujourd'hui en paye les conséquences sur son propre territoire, le désespoir est mobilisateur et des meurtriers comme ce jeune homme naissent de ce désespoir ambiant et ce climat de peur. Mr Sarkozy a très bien fait son travail en dressant les français les uns contre les autres... bravo !

Drew Il y a 16 années Le 06/02/2008 à 22:35

Les kamikazes d'Al-Qaida
Après les attaques du 11 septembre aux Etats-Unis, les forces occidentales de police et de renseignements avaient commencé à engranger de bons résultats, déjouant des attentats et multipliant les arrestations. Mais leurs adversaires ont ressurgi en nombre, sous les traits d’une nouvelle génération de terroristes, nettement plus jeunes (souvent moins de 30 ans) et, surtout, originaires des pays qu’ils prennent pour cible. Ce sont des djihadistes (djihad signifie guerre sainte en arabe) de chez nous qui passent à présent à l’action.

Difficile, cependant, d’établir un profil exact de ces fantassins d’Al-Qaïda opérant sur le sol européen. « Ce qui est sûr, c’est que nous n’avons plus affaire, désormais, à des gens diplômés et appartenant aux classes moyennes de nos sociétés, explique Ali Laïdi, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). En France, par exemple, la menace vient aujourd’hui des repris de justice, anciens petits délinquants ou trafiquants. Environ 400 à 600 d’entre eux seraient repérés par la police, qui éprouve néanmoins bien des difficultés à les suivre. Leurs filières d’entraînement et de formation ont en effet changé. Depuis peu, elles ne passent plus par la Tchétchénie, l’Afghanistan ou même l’Irak, mais par des pays comme la Syrie et l’Egypte où, sous prétexte d’approfondir leurs connaissances de l’islam, ces jeunes se rendent dans des mosquées et des universités qui sont des repères d’extrémistes », affirme le spécialiste.

Endoctrinés et formatés pour agir

En Grande-Bretagne, cependant, les terroristes du 7 juillet paraissaient intégrés dans la société britannique. Ils ne vivaient pas dans des ghettos ethniques, mais dans des quartiers résidentiels, à la fois populaires et multiculturels. L’un était un éducateur apprécié et bénéficiait de subventions européennes pour créer des salles de sport. L’autre un amateur de cricket, qui servait parfois dans le petit restaurant de son père. « En fait, ces jeunes n’étaient intégrés qu’en apparence, observe Dominique Thomas, spécialiste de la mouvance islamiste et auteur du livre Londonistan. Ils avaient été endoctrinés par leurs recruteurs et formatés pour passer à l’action lors de voyages au Pakistan passés totalement inaperçus. »

Des réseaux dormants capables de tuer

Tous les observateurs s’accordent pourtant sur un fait : c’est sur les lieux de recrutement de ces soldats de l’islam qu’il faut agir. « Ces jeunes sont recrutés dans les prisons ou à la sortie des mosquées, constate Ali Laïdi, de l’Iris. Ensuite, ils sont emmenés dans des appartements ou des caves, où leur sont présentées des images sur les “persécutions” dont seraient victimes les musulmans à travers le monde. C’est un véritable lavage de cerveau. Un travail de sape psychologique, qui se conclut invariablement par quelques sourates du Coran promettant le paradis d’Allah aux futurs kamikazes. Il n’en faut pas plus, croyez-moi, s’inquiète Ali Laïdi, pour transformer en bombe humaine des jeunes déstructurés, parfois victimes de discriminations, qui n’ont plus qu’une idée en tête : venger les musulmans d’Irak, de Tchétchénie, d’Afghanistan ou d’ailleurs. Ils deviennent ainsi des soldats de l’islam radical, répartis en réseaux dormants et capables de tuer en se faisant tuer. Le pire est qu’ils sont parmi nous. »

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